On va paroler de suicide, OK?

Par yansanmo

2018-10-16 17:22:06

Retour sur l'article On va parler de suicide, OK? de Marie-France Lanoue

J'ai souvent des idées noires. Je pense parfois au suicide, pas vraiment la façon de mourir, mais plutôt à quoi bon continuer de vivre. Je cherche toujours ma place, je cherche ce que j'aime, mes préférences, mes trucs préférés, ce que je suis, ce que je peux faire. Même au primaire je ne pouvais pas choisir ma couleur préférée. Je trouve ça difficile avec le temps, parce que mes intérêts changent, je sais que c'est juste temporaire. J'ai vu un reportage sur le bonheur basé sur les projets et je me cherche encore des projets qui vaut vraiment la peine.

Quand j'étais jeune, au début de l'école, j'étais émotifs, je pleurais à rien. Pas très bon dans le sport mais bon en classe, pas trop bon pour avoir des amis qui n'étaient pas juste des collègues de classe. J'ai eu des amis d'école, j'ai parfois ris avec eux en classe, mais ça se terminait là. Aujourd'hui, je ne me souvient pas vraiment d'eux, peut-être juste de certains noms, mais pas d'anecdotes ou d'expériences. Pour arrêter de brailler à l'école, j'ai commencé des cours de karaté. J'ai arrêté d'être émotif en apparence. J'ai aussi commencé un sport que personne ne faisait dans ma classe, donc j'étais le karatéka de la classe. Je n'aimais pas trop les vacances d'été. Ça voulait dire que j'allais passer mon temps à ne pas savoir quoi faire. Et pas de vacances avec ma famille, parce que mon père travaillait l'été. Le voisin le plus proche s'en allait se faire garder ailleurs, je ne m'entendais pas vraiment avec les plus vieux de ma rue. Il restait le vélo, la télé, les repas en famille et essayer de jouer avec les voisins qui restaient un peu plus loin. On a bien essayé d'avoir des cabanes, mais sans adultes pour nous guider, ça ne donnait pas grand chose à part couper des petits arbres et clouer des branches. J'ai aussi fait deux voyages de pêche avec mon père, des camps de jour avec les louveteaux. Avant d'aller au secondaire, mon grand-père est décédé. Je ne le connaissais pas vraiment, quelques visites dans les dernières années. Ça m'a rendu triste un peu.

Adolescent, ce n'était pas vraiment mieux, j'avais encore des amis d'école et j'avais des amis du karaté (pas les deux), pas d'amis dans le quartier, on avait déménagé. Les étés étaient longs. Les émotions avaient pris le bord, sauf pour la peur des présentations orales. Sinon c'était rationalité et sang froid. J'avais un ordi. Ça l'aurait été cool d'être un ordi. Si j'avais eu à choisir des modèles, à la télé, j'aurais pris Spock et Data... Des modèles qui n'existent pas... ou bien dans un futur lointain. J'avais décidé d'être le plus logique possible, le plus conscient possible, d'être en contrôle de mes moyens. Pour être en contrôle tout le temps, il ne fallait pas que je prenne de l'alcool ou de drogue. Aujourd'hui encore, je ne supporte pas l'odeur de l'alcool. Je ne me souviens pas d'avoir été à un party. J'ai été forcé d'aller au bal des finissants seulement parce qu'on me remettait une bourse, après j'ai quitté, ma mère a gardé l'album. J'ai pas vraiment eu de blonde (j'ai embrassé une fille mais ce n'était pas sérieux). Je crois que j'avais remarqué que les statistiques ne sont pas très bonnes sur la durée des relations qui commencent au secondaire. Ça m'intéressait pas vraiment d'être en couple. Ça pouvait attendre après les études. Perdu de vue pas mal tout le monde du secondaire.

J'ai choisi de faire une technique informatique, parce que c'était simple pour moi, ça ne m’obligeait pas d'aller à l'université si je voulais travailler après le diplôme. Une année à Mont-Laurier, deux années à St-Jérôme en résidence. Pas eu d'initiation, on était la première "batch" à Mont-Laurier. À mon sans-alcool, sans-drogue, j'ai rajouté un sans-viande. Après avoir eu une écoeurantite aiguë de viandes sauvages, ne sachant pas me faire cuire un oeuf ou un steak, j'ai décidé que c'était plus simple de ne pas en acheter. En plus, ce n'était pas logique de tuer ou de faire souffrir des animaux pour rien. Je ne connaissais personne autour de moi qui avait pris cette décision. Mais bon, ça s'ajoutait à plein de décisions que j'avais fait qui était différente des autres. Ce n'était pas la première, ce n'était pas la dernière. Quelques gars avait des blondes, mais pas la majorité. Par encore de pression pour être en couple. Trop occupé avec l'école ou les jobs d'été. À la fin de mes trois années de techniques. J'ai commencé à utiliser Linux au lieu de Windows. Toujours pas de permis de conduire, j'en avais pas de besoin. J'ai eu un ami de classes au cégep, des colocs assez cool la première année. J'ai eu quelques downs l'année suivante, dans une résidence à trois colocs, j'aimais mieux quand il y avait plus de monde. Pas trop aimé les profs. Perdu de vue pas mal tout le monde du cégep.

Je n'avais pas appris trop de choses en techniques, je n'étais pas encore "tanné" de l'école, j'ai continué en génie logiciel. Pas eu d'initiation, pas eu de blonde, je n'étais jamais au bar pour socialiser. J'ai pas aimé mes années d'université. Il y avait un certain élitisme dans l'air que je n'aimais pas, surtout de la part des profs. J'ai eu quelques amis. Je ne me suis pas intéressé au club étudiant, je trouvais que c'était trop temporaire, je pouvais aller dans des rencontres d'informatique avec des professionnels à la place, c'était plus utiles à long terme d'après moi. Trois stages payés. Ma première patrone m'a insulté avec un resto de départ dans un steak-house. Mon deuxième stage n'a pas semblé aboutir à nulle part, jamais eu de retour de mes collègues. À mon troisième stage, je n'aimais pas trop le projet mais j'aimais bien les collègues de travail et l'atmosphère du bureau. Pas nécessairement la meilleure place, mais je trouvais que c'était une meilleure école que mon université. Je ne me voyais pas faire une maîtrise. Perdu de vue pas mal tout le monde de l'université.

J'étais enfin sur le marché du travail, j'avais terminé le projet d'avoir un diplôme. Je me suis donné 2 ans pour apprendre mon métier dans la boîte de mon troisième stage. On m'a lancé sur d'autres dossiers, j'ai appris à répondre au téléphone, faire du soutien techniques, gérer des clients plus longtemps qu'un devoir d'école. On m'a lancé dans des entreprises pendant quelques mois pour faire de la programmation. Un vrai crash course. J'ai commencé à voir des collègues/amis du bureau partir ou être renvoyer. J'ai eu pas mal de peine pour la première à partir. J'ai commencé à être "un vieux" que les nouveaux ne connaissaient pas. J'ai tranquillement perdu des points de repères. En même temps, j'ai eu une première blonde, un été qui a passé trop rapidement. Je l'ai aimé même si elle n'était pas végé et qu'elle buvait de l'alcool et même si elle devait repartir dans son pays. Je l'ai laissé partir. Première peine d'amour, comme un deuil. J'ai voulu couper les ponts par courriel pour que la séparation soit nette et franche, pour qu'elle puisse rencontrer quelqu'un dans son pays. Ce n'était pas pour que je puisse courrayer de mon côté, j'avais eu temps de difficulté à trouver quelqu'un comme elle, je n'allais pas en trouver une autre facilement. J'ai fait mon sans cœur pour avoir moins mal. J'ai eu plus mal quand j'ai su qu'elle était de retour au pays, avec un gars que je connaissais, du moins, c'est ce que je crois. Je n'ai pas voulu en savoir plus. J'ai continué à travailler, le propriétaire où je louais une chambre m'a demandé de partir. J'ai loué un 1 1/2 près du bureau. Première fois seul en appartement. De moins en moins de personnes dans ma vie. Perdu de vue pas mal tout le monde du bureau.

Après 2 ans au boulot, j'ai pris des vacances avec ma soeur et sa famille, entre deux projets. Premier voyage d'une semaine en dehors du Québec. J'ai vu la relation de couple de ma soeur, j'ai vu mes nièces. J'ai eu envie d'avoir une famille. Je suis retourné au travail. Le bureau avait déménagé pendant que je travaillais chez des clients. Je ne restais plus proche du bureau. La seule chose qui n'avait pas changé c'était le patron et quelques collègues, occupé sur des projets. Complètement déboussolé, pas de blonde, pas de famille. Mon patron a essayé de me mettre sur un projet que je n'aimais pas. J'ai craqué. Première dépression, j'ai décidé de quitter le boulot. J'étais en choc. Le patron m'a dit d'aller voir sa femme qui était psychologue ou psychanalyste, je ne sais pas trop. J'ai pleuré. Je lui ai dit que ça allait me faire du bien de pleurer, que je coupais juste les ponts dans ma tête. Je n'allais pas me suicider. J'ai payé trois mois de loyer pour quitter Montréal. Je suis reparti chez mes parents. Pas de job, pas de chômage, pas de projet.

Ça m'a fait du bien d'être avec mes parents, de n'être pas seul. Un ancien client a découvert que j'étais sans emploi, il m'a proposé de travailler pour lui. Je n'avais pas l'internet haute-vitesse chez mes parents, j'ai déménagé chez ma soeur. Travailler un an chez ma soeur. Je commençais à lui tombé sur les nerds. On m'a trouvé un 2 1/2. Ça l'a été bien un bout... puis, je me suis senti seul. J'ai commencé à m'inscrire à des sites de rencontres, je suis allé aux réunions du conseil de ville pour essayer de m'intéresser à quelques choses, j'ai recommencé le karaté pour me défouler des tracas du bureau. J'ai essayé de me trouver une façon de sortir de mon impasse. Ça n'a pas trop fonctionner. J'ai été voir une autre psychologue. Je ne l'ai vraiment pas aimé, j'ai arrêté après 3 ou 4 séances, mais j'ai pu pleurer un peu. Le plus gros du problème lors des rencontres, c'était que je ne savais pas qu'est-ce que je devais faire. Je tournais beaucoup autour du mot "devoir". Je faisais assez d'argent pour payer mes dépenses, je ne savais pas quoi faire de plus. Je ne trouvais pas de végé à Mont-Laurier. Je tournais en rond. J'ai commencé à désigner mon appartement "ma prison". J'ai décidé d'avoir une maison. Soit une petite maison ou un duplex que je pourrais acheter avec ma soeur. On a trouvé un duplex. J'ai déménagé avec ma soeur. Les problèmes de maisons ont commencés, mais c'était prévisible. J'avais comme nouveau projet de payer l'hypothèque. Je l'ai payé assez vite. J'ai rencontré par internet une fille végétarienne/lienne? qui vivait en France. J'ai décidé de faire un voyage pour aller la voir, pour prendre l'avion, pour prendre le train, pour dormir dans un hôtel, pour faire autre chose que travailler. Premier resto végé à Paris. Je suis revenu avec un rhume pendant une semaine. La fille et moi avons arrêté de se parler. Je suis devenu végétalien. J'ai continuer à essayer de rencontrer des filles végés. J'ai organisé un groupe pour en connaître, fait un potlucks. Pas trop de succès. Je me suis fixé un objectif: soit que je me trouve une blonde dans la prochaine année où soit je pars à Montréal. Je n'ai pas trouvé personne, j'ai attendu d'avoir assez d'argent pour rénover le duplex, attendu la fin des travaux du duplex, puis je suis parti à Montréal.

Je suis arrivé en novembre à Montréal, j'ai rejoint mes nièces étudiantes. J'ai assisté à quelques conférences, puis plus rien l'hiver. Il n'y a pas eu assez de rencontres pour que ça soit significatif. Pas eu plus de succès sur les sites de rencontres depuis que je suis à Montréal. Le premier appartement n'était pas très bien situé, on a déménagé sur le Plateau. La place est bien pour pouvoir sortir, mais je n'aime pas l'appartement. Depuis cet été, j'essaye de participer à tous les évènements végés pour connaître le plus de personnes possibles. J'essaie de me faire une famille, d'avoir un sentiment de communauté. C'est difficile par contre. J'ai du mal de passer d'une fin de semaine avec plein de gens à une semaine où je parle à mon ordinateur. Je trouve ça brutale. Je passe d'une manifestation de 5000 personnes, d'un repas avec 20 personnes végés à ma petite assiette assis devant mon ordi. Ça me prends parfois une ou deux journées pour me remettre d'une fin de semaine occupée. Et puis, participer à des combats contre la souffrance, ce n'est pas joyeux, c'est dûr sur le morale. J'ai découvert le nouveau concept de "Vystopia", j'en souffre depuis des années. Côté professionnel, j'essaie de mettre à jour tous les projets de mes clients, question de me mettre à jour côté technologique. Faudrait que j'apprenne à travailler en équipe. Je n'ai toujours pas trouver le courage de faire des recherches pour des nouveaux projets ou suivre des formations. Faudrait que j'y pense parce que je ne fais pas un très gros salaire pour vivre à Montréal. Finalement, je sais que mes colocs vont me quitter en juin prochain. Je vais me retrouver seul encore. Un autre déménagement qui arrive. J'ai pas trop envie, je sais ce qui se passe quand je suis seul. J'aimerais avoir des colocs parce que je sais que c'est bon pour ma santé mentale de voir des visages chaque jours.

J'ai encore souvent des idées noires. Surtout depuis qu'il ne fait pas beau dehors. Mon humeur change selon le temps qu'il fait. J'ai eu un rhume une semaine et quand je suis malade c'est pire. Je n'avais plus le goût de me lever. Je pense parfois au suicide. Je n'ai pas trouver de façon simple et propre par contre. J'ai peur des hauteurs, je n'aime pas les douleurs physiques, j'aime pas les poisons, j'aime pas quand c'est sale. Je suis paresseux aussi, ça ne me tente pas de chercher. Je n'aime pas le fait qu'une fois mort, tout ce que j'ai écrit sur mes sites internet se retrouveraient au néant, effacé de mes disques durs, parce que ce n'est important que pour moi quand je l'écrit. J'aime pas l'idée qu'une personne va se retrouver à essayer de comprendre tout le code que j'ai fait pour mes clients depuis 10 ans, pauvre lui. Je n'aime pas le fait que j'ai encore une hypothèque à payer. Une fois, quand j'étais en dépression, j'ai décidé que j'allais mourir, mais le plus tranquillement possible, parce que je ne fais pas les trucs comme les autres. «mourir pour des idées, d'accord, mais de mort lente». La mort rapide, c'est beaucoup trop violent, je n'aime pas la violence. J'aime encore moins la souffrance faites aux autres. J'aime mieux essayer de digérer tranquillement ma souffrance et celle que je vois faite chaque jour. J'ai appris à être patient. J'ai essayé d'être le plus conscient possible. Maintenant, c'est un peu un fardeau. Je pense aux animaux tués, aux personnes dans la rue, aux pauvres, aux riches, au sexisme, au racisme, aux guerres, aux chicanes, à la pollution dans le monde, à la disparition d'espèces, au rejet de la science, au fait que les choses ne changent pas vraiment rapidement. Je pense aussi à toutes les choses que je n'ai pas connues ou pas faites. J'y pense un peu tous les jours. Ça me revient dans la tête tout le temps, depuis que je suis jeune. Je me crée des projets bidons pour essayer de ne pas y penser. J'y pense moins quand je code ou quand je fait du sport. Je sais que j'oublie de toute façon avec le temps. Comme les moments avec ceux que j'ai perdu de vue. Je sais pas si c'est un signe d'une maladie. Et puis, je ne peux pas me suicider car ce n'est pas végane de faire souffrir ses proches.


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